Oméga : Les origines / Chapitre 1
- Dylan Rocque
- 5 févr. 2022
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 mai 2023

Tout commence au beau milieu des vastes plaines de Bourgogne, sur les rives de la Saône, dans une petite ville du nom de Seurre. Cette ville, que nous pourrions presque considérer comme un grand village, est un lieu calme, paisible, d'une atmosphère presque rare de nos jours. C'est un lieu de convivialité, où l'inconnu est accueilli comme un voisin et où le voisin est considéré comme un membre de la famille. Son caractère presque autarcique vient du fait qu'une grande entreprise s'est installée sur ses terres et a permis de faire revivre les rues désertes d'une ville jusqu'alors abandonnée. Le dirigeant de cette entreprise, Gilles Vignaud, ami de tous les habitants, s'est lui-même installé sur la petite île de la ville. Sa passion pour le travail, et surtout pour son travail, pour son entreprise qu'il a créé de ses mains, n'a pu que le pousser à vivre dans sa ville natale. Toutefois, il ne s'agit de l'histoire que nous allons raconter.
C'est une matinée brumeuse de la fin du mois de juin. Loin, à l'horizon, un soleil timide se lève. L'épais brouillard recouvre tout aux alentours : villages, maisons, champs et rivières. Le ciel lui-même est rendu solitaire, séparé de tout regard. Pourtant, les quelques rayons qui le traversent permettent d'apercevoir quelque chose. Là, juste au bord de l'eau, se dessine une ombre floue, seule, inconnue. Un homme se tient debout au bord de la rivière, sous un splendide arbre de Judée, dont les fleurs roses pourpre sont encore magnifiquement présente. Il a les mains croisées dans un dos courbé et le pied posé sur un rocher tel un ancrage. Son regard pensif se perd dans un horizon invisible. Il semble comme entièrement coupé du monde, isolé au milieu d'une bulle brumeuse. À ce moment, une voix s'élève et l'extirpe de sa carapace de solitude.
???
Alexander !
L'homme tourne la tête sur sa droite, en direction d'un ponton en bois s'avançant sur la rivière. Malgré la météo peu clémente, il réussit à voir un deuxième homme finissant de déposer de nombreuses affaires de pêche dans une barque.
???
Les affaires sont prêtes, on peut y aller !
Après un court instant d'hésitation, il finit par lui répondre.
ALEXANDER
J'arrive Gilles !
Ainsi, l'ombre immobile fixant l'horizon se déplace afin de rejoindre Gilles sur la barque. Cet homme se nomme Alexander Davenport. Il est venu rendre visite à Gilles Vignaud avec qui il est ami depuis l'université.
GILLES
Prêts pour aller pêcher ?
ALEXANDER (d'un ton dépité)
Ai-je le choix ?
GILLES
Absolument pas ! On y va !
Les deux amis montent à bord de la barque et s'éloigne du rivage. Ils atteignent rapidement le milieu de la rivière, où chacun d’eux s’empare de sa canne et jette sa ligne dans l’eau.

Tous deux se retrouvent ainsi assis face à face, regardant chacun sa ligne, surveillant la pêche, attendant le moindre signe d'un poisson. Un silence pesant règne sur l’embarcation. Gilles regarde avec insistance Alexander qui avait désormais un regard vide, fixé sur son propre reflet dans l'eau.
GILLES Tout va bien Alex ?
ALEXANDER (hésitant)
Je ne sais pas… Je ne suis pas sûr de pouvoir y arriver
GILLES Je comprends…
A nouveau, le silence s'impose. Gille ne sait pas quoi lui dire afin de le réconforter, mais préfère tout de même ne rien dire. Il y a parfois des moments où les mots ne peuvent consoler, et où seule une présence amicale et affective suffit. Alexander lève la tête en direction de Gilles.
ALEXANDER (hésitant)
Gilles ?
GILLES
Oui ?
ALEXANDER Est-ce que je vais m'en remettre ?
Gilles ne répond pas. En même temps, que peut-il bien lui dire ? Existe-t-il au moins une solution ? Après un instant, il finit tout de même par répondre à cette difficile question.
GILLES Bien sûr… mais cela prendra du temps.
Alexander détourne une nouvelle fois son regard, suivant le courant de la rivière, en direction de l’horizon.
ALEXANDER (d'une petite voix)
Sa présence me manque tellement…
ALEXANDER (d'une voix saccadée) Tout s'est passé tellement vite. J'ai peur de…
Il s'arrête un instant, comme paralysé par le fait que cette idée puisse lui traverse l'esprit.
ALEXANDER
J'ai peur de l'oublier …
GILLES Tu sais ce qu'on dit : les morts ne sont que les invisibles,
pas les absents.
Gilles fixe son ami d’un regard compatissant. Alexander, lui, ne quitte pas l'horizon, admirant le soleil levant ; une larme coule sur sa joue. Tous deux restent silencieux, sur la barque, au milieu de la rivière.
Quelques jours plus tôt
C'est une belle matinée du milieu du mois de juin. Le soleil baigne déjà d'une lumière chaleureuse les jardins fleuris. Nous sommes sur les hauteurs de Pasadena, ville limitrophe de Los Angeles, dans un petit quartier pavillonnaire. A la fenêtre de l'une des maisons, on peut voir un homme s'affairant dans une cuisine. Il s'agit d'Alexander Davenport, ingénieur physicien émérite, ayant réussi à quitter son pays et ses origines pour vivre le "rêve américain" dans son domaine du génie physique.

Alexander est en train de préparer un somptueux petit déjeuner. Il récupère des toasts dans le grille-pain, qu'il tartine de beurre et de confiture maison. Il prépare ensuite le café qu'il verse dans un mug, aux motifs tournesols, visiblement fait-main par un enfant. Il cuisine des œufs brouillés, en dansant au rythme de la musique qu'un ancien poste de radio faisait résonner dans le silence matinal de la maison. Une fois la totalité du petit-déjeuner déposé sur un plateau, Alexander remarque que quelque chose manque afin d'atteindre la perfection, ce qu'il voulait. Il s'empare d'une paire de ciseaux, se précipite vers la porte derrière lui et sort. Il revient du jardin à peine deux minutes après, sort un petit vase d'un placard, le dépose sur le plateau et y mets une magnifique composition de bruyère et de houx. Alexander se redresse, fier devant le travail accompli. À cet instant, son téléphone se mit à sonner. Il décroche :
ALEXANDER
Oui allô ?
FRANCINE
Alexander ? C'est Francine.
ALEXANDER
Oh bonjour Francine, comment allez-vous ?
FRANCINE
Très bien merci. Vous vous demandez sûrement pourquoi je vous appelle de si bonne heure.
ALEXANDER (ironiquement)
Je n'osais pas poser la question.
FRANCINE
Rufus souhaite vous voir au plus tôt.
Pourriez-vous être au bureau pour 7h30 ?
ALEXANDER
Euh oui bien sûr, je serais là ! C'est à quel sujet ?
FRANCINE
Je suis désolée, je n'ai pas plus d'informations.
ALEXANDER
Pas de problème, merci Francine, à toute à l'heure.
Il raccroche, pose son téléphone et réfléchit. Il doit y avoir une raison importante pour que son directeur le convoque si tôt, et au dernier moment en plus. Il s'agit sûrement d'un test car Alexander brigue le poste de directeur de son département. Il est soucieux, le visage fermé. Toutefois, cela ne dure pas longtemps, chaque chose en son temps se dit-il, il a d'autres choses à faire ce matin. Il pose son téléphone, prend le plateau, sort de la cuisine, traverse le salon et monte les escaliers. Il avance rapidement dans le couloir, s'arrête devant la chambre et toque à la porte restée entrouverte. Il entre et s'approche doucement du lit.
ALEXANDER
Bonjour mon petit cœur…
Un léger bruit, comme un grognement, se fait entendre du lit. Oriana se réveille lentement. Alexander s’approche du buffet, pousse le livre qui s’y trouve et dépose le plateau. Ce livre est le préféré d’Oriana : Les Contemplations de Victor Hugo. Il s’approche de la fenêtre et ouvre les rideaux de la chambre. Dehors, un soleil éclatant illumine un ciel bleu azur, aucun nuage à l'horizon, signe d'une belle journée de début d'été et de bonne augure à en croire la tradition familiale ; ce qui ne sera pas réellement le cas. Il se retourne, s'approche du lit et s'allonge à côté de sa femme. Il l'embrasse sur le front en la prenant dans ses bras. Alexander glisse sa paume le long de son bras et lui prend la main. Il lui tapote trois fois la main avec son index. C'était une habitude qu'ils avaient pour se réveiller, comme un message codé dont eux seuls avaient la traduction. Un code qui les rassure, qui leur montre qu'ils sont là, l'un pour l'autre.
ALEXANDER
Joyeux anniversaire mon cœur.
Elle ouvre lentement les yeux, et regarde Alexander.
ORIANA
Merci mon amour.
Alexander se relève et lui apporte le plateau pour qu'elle prenne son petit déjeuner au lit.
ALEXANDER (d'un ton faussement protocolaire)
Un petit-déjeuner royal pour sa majesté.
Oriana le regarde d'un faux air sérieux.
ORIANA
Je vous serais gré d'accepter mes plus
sincères remerciements.
ALEXANDER (faisant une révérence grossière)
A votre service chère Madame.
Les deux se mettent à rire. Alexander se rassoit à côté d'Oriana, qui commence à manger.
ORIANA Les enfants sont réveillés ?
Alexander approche son visage pour l'embrasser sur la joue.
ALEXANDER
Ils dorment à poings fermés. Je voulais profiter de ces
quelques minutes de répits pour rester tous les deux.
ORIANA Ah oui vraiment ?
ALEXANDER
Je veux profiter du privilège de voir chaque moments
où le soleil du matin illumine ton visage.
ORIANA (riant)
Oh ! Monsieur est donc un privilégié ce matin.
ALEXANDER Ce matin et tous les matins depuis bientôt 20 ans.
Un rictus se dessine sur le visage d'Oriana, un petit rire se fait entendre. Elle continue son petit-déjeuner. Elle regarde Alexander droit dans les yeux.
ORIANA
Alex, le romantisme te va vraiment pas du tout.
Alexander se recule avec un air faussement choqué. Il prend le plateau devant Oriana, se retourne et le dépose sur sa table de nuit. Il revient vers Oriana et la fixe.
ALEXANDER Tu vas voir si ça me va pas !
Alexander se jette sur sa femme, en lui faisant des bisous sur le visage et dans le cou. Oriana laisse échapper un cri de stupeur. Il pose ses mains sur ses hanches pour lui faire des chatouilles en exagérant le bruit de ses bisous.
ORIANA (riant et se débattant)
Alex ! Arrêtes ! Tu sais que je déteste ça.
Alexander relève la tête.
ALEXANDER
Je sais. Mais moi j'adore ça !
Les deux continuent de se battre jusqu'à ce qu'Oriana réussisse à contrôler son mari, le force à se mettre sur le dos, et monte sur lui, lui tenant les poignets de chaque côté de l'oreiller.
ORIANA Qui fait le malin maintenant ?
ALEXANDER Décidément, j'arriverais jamais à te battre.
ORIANA C'est ça d'être faible !
Oriana se lève et sort du lit. Alexander la suit du regard.
ORIANA
Fais pas ton vexé et vas réveiller les enfants.
ALEXANDER (ironiquement)
Moi aussi je t'aime fort mon amour !
Oriana rigole et lui fait un doigt d'honneur sans le regarder en rentrant dans la salle de bain attenante. Alexander sort du lit et quitte la chambre.
On les retrouve dans la cuisine, Alexander porte son plus beau costume pour aller travailler. Il sert le petit-déjeuner à ses enfants : leur fille, Emily, âgée de 10 ans et leur fils, Aaron, 6 ans. Oriana descend les escaliers en peignoir, se séchant les cheveux avec une serviette. A son arrivée dans la cuisine, les enfants posent leurs tartines, se lèvent et courent vers leur mère en se jetant dans ses bras. Oriana s'était heureusement accroupit par anticipation.
AARON Maman !
EMILY Maman ! Joyeux anniversaire !
ORIANA
Merci mes amours !
Les trois se font un câlin. Rapidement, Aaron quitte les bras de sa mère pour récupérer l'avion qu'il avait laissé sur la table, son jouet préféré, et jouer avec en tournant autour de la table, ayant déjà oublié qu'il était entrain de petit-déjeuner. Emily regarde sa mère fixement.
ORIANA
Tout va bien ma chérie ?
EMILY
Fermes les yeux et tends les mains.
Intriguée, Oriana s'exécute. Emily dépose entre ses mains un collier doré orné d'un pendentif représentant une fleur de tournesol. Oriana rouvre les yeux.
ORIANA
Oh mon cœur c'est magnifique !
EMILY
Je l'ai fait à l'école pour toi ! C'est une fleur de tournesol, la fleur du soleil !
Parce que tu es rayonnante.
Oriana est émue de cette attention. Elle prend sa fille dans les bras et l'embrasse.
ORIANA
C'est toi mon soleil ma chérie.
Pendant ce temps, Alexander s’affaire une nouvelle fois dans la cuisine à ranger et nettoyer. Oriana le regarde en fronçant les sourcils.
ORIANA Tout va bien Alex ?
ALEXANDER Très bien pourquoi ?
ORIANA
Tu m'as l'air… pressé.
ALEXANDER
Je veux juste que tout soit parfait pour l'anniversaire
de mon rayon de soleil.
Il l'embrasse dans le cou, en finissant de nettoyer la vaisselle.
ALEXANDER Et j'ai eu un appel du boulot, ils m'ont demandé
d'arriver plus tôt aujourd’hui.
Il s'essuie les mains avec un torchon.
ALEXANDER Réunion importante avec mon directeur apparemment
Il se dirige vers sa chaise pour récupérer sa veste de costume.
ORIANA
C'est pour ta promotion ?
ALEXANDER (enfilant sa veste)
Peut-être je sais pas trop.
Oriana lui passe les bras autour de la taille.
ORIANA
Espérons ! Tu feras un excellent directeur de département.
ALEXANDER
On ne vends pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué ma chérie.
ORIANA
Tu as raison.
Ils s'embrassent. Aaron vient de s'arrêter net dans sa course folle d'aviation pour se figer devant eux.
AARON (d'un voix triste)
Pourquoi tu veux tuer un ours papa ?
Alexander et Oriana se regardent en rigolant. Oriana s'approche de son fils.
ORIANA
Mais non mon chéri, c'est une expression.
Papa ne va rien faire aux ours, et vu sa force, il en est loin.
ALEXANDER
Très drôle ! Bon il faut absolument que j'y aille !
ORIANA
Bon courage mon cœur !
ALEXANDER (se retournant)
Bonne journée les enfants, bossez bien.
EMILY
Bonne journée Papa !
Il n'a pas de réponse d'Aaron qui vient de repartir avec son avion en courant dans toute la maison. Alexander sort de la cuisine, traverse le salon et sort de la maison. Il met ses lunettes de soleil et longe le chemin de pierre menant à sa voiture garée dans l’allée. De l'autre côté de la haie, son voisin Michael l'interpelle.
MICHAEL
Bonjour Alex ! Belle matinée, n'est-ce pas ?
ALEXANDER
Salut Michael ! Oui de quoi nous motiver pour aller bosser.
Il ouvre sa voiture, monte dedans, allume le contact, baisse le toit ouvrant et quitte son domicile en direction du centre-ville.

On entend la radio couper la musique pour laisser place à la voix du présentateur de l'émission du matin.
PRESENTATEUR RADIO
Bonjour la côte ouest ! Nous sommes le 14 juin, il est 7h du matin, il fait déjà 25°C
et un soleil éblouissant accompagne les lève-tôt qui se rendent au travail.
Alexander quitte les hauteurs de Pasadena, sa banlieue californienne, et traverse le centre de Los Angeles en direction de son lieu de travail profitant du soleil et du vent au volant de sa voiture de sport. Alors qu'il approche de son bureau, son téléphone se met à sonner. Il décroche.
ALEXANDER
Davenport, j'écoute
???
Déjà formel de si bonne heure ! Faut te détendre un peu Alex !
Alexander regarde l'écran de commande de sa voiture pour vérifier le nom de son interlocuteur. Il s'agit bien de Gilles, son ami de l'université.
ALEXANDER (d'une voix sarcastique)
Et c'est pour ça que j'habite aux US et toi en Bourgogne mon cher !
Comment tu vas Gilles ?
GILLES
Ça va super ! Justement c'est pour ça que je t'appelle, je suis sur Los Angeles
quelques jours pour les affaires. Faudrait qu’on se voit depuis le temps !
ALEXANDER
Avec plaisir ! J'arrive au travail là mais je te rappelle dans la journée pour fixer ça.
GILLES
Parfait, à tout à l'heure alors !
ALEXANDER
Oui, à toute !
Alexander raccroche. Il arrive devant une immense tour et se gare sur le trottoir devant l'entrée. Il sort de la voiture, récupère sa mallette sur le siège passager et se dirige vers la Tour de la Delta Industry. Arrivé à mi-chemin, une sonnerie d'alerte se fait entendre. Alexander vient de recevoir un message d'Oriana : « Bonne journée mon cœur, je t'aime ». Alexander sourit et lui répond : « et moi encore plus ». Il lève les yeux, range son téléphone et rentre dans la tour.

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