Oméga : Le commencement / Chapitre 1
- Dylan Rocque
- 5 févr. 2022
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 févr. 2022

C'est une sombre et froide soirée de fin d'hiver. Le ciel est d'un gris opaque. Presque aucunes lueurs, de lune ou d'étoiles, ne le traversent. L'obscurité présente n'instaure rien de plus qu'une atmosphère pesante, étouffante. Une pluie battante frappe le goudron froid des boulevards parisiens. Cette vision aurait pu ressembler à n'importe quelle nuit d'hiver que la capitale française a connue. Pourtant, celle-ci est différente.
Les rues sont vides, le concert quotidien de klaxons des voitures s'est évanoui, la lueur des réverbères n'éclaire plus que les torrents formés par la pluie entre les pavés.
Le silence règne. Sous terre, le métro est à l'arrêt. Son labyrinthe de couloirs ne fait entendre que l'écho rythmé de la pluie. À la surface, c'est comme si la vie elle même avait disparue : restaurants, bars et magasins sont déserts, fermés, donnant à la ville un air sinistre, lugubre et funèbre.
Un seul son vient déchirer ce silence pesant. Celui d'un des joyaux de la capitale. Celui des cloches de Notre-Dame qui annoncent l'heure : Minuit.
Les lampadaires s'éteignent. La ville est plongée dans une obscurité qu'aucune lumière, d'aucune fenêtre, d'aucun appartement, ne vient transpercer. Qui aurait pu imaginer une telle vision, un vendredi soir du début du mois de mars. Quiconque se trouverait, à ce moment même dans la rue, ne saurait retrouver son chemin, perdu dans la pénombre, l'ouïe muselée, quand bien même que la présence d'une personne en ces lieux auraient été totalement inimaginable.
Toutefois, une lumière se distingua dans la pénombre, vaillante et courageuse, tel un signe d'espoir dans le noir. L'encadrement de deux fenêtres la laisse passer. Située au premier étage d'un ancien hôtel particulier, ces fenêtres donnent sur un bureau, et non des moindres. Ce bureau est celui du Président de la République, au premier étage du Palais de l’Élysée.
A l'intérieur, un homme est assis devant son bureau. Cet homme est Gabriel Vignaud, jeune homme de 34 ans, élu à la surprise générale il y a deux ans au poste le plus prestigieux de la République. Il est là, assis, en bras de chemise, à travailler. Son bureau est surchargé de dossiers qui s'empilent les uns au dessus des autres, lui obstruant presque la vue.
Il sort de ses dossiers, pose ses coudes sur son bureau et plonge sa tête entre ses mains. Il a peur, il est triste et énervé car il ne sait pas quoi faire face aux événements auxquels son pays fait face. Les traits de son visage ne transmettent que de l'incompréhension et du désespoir. Il se lève et pose ses mains sur son bureau. Alors qu'il était en train d'écouter les infos de la nuit à la radio, il ferme ses yeux rougis par les pleurs et, d'un coup, frappe violemment la lampe de son bureau faisant tomber un pile de dossiers ainsi que son poste radio. Il s’effondre en larmes au sol, le dos appuyé contre son bureau, les jambes relevées, le visage enfouis entre ses bras. Il est perdu, se sent seul face à une situation en dehors de tout contrôle. Il relève la tête et se perd dans l'obscurité de l'extérieur.
A ce moment, une légère sonnerie provenant de son ordinateur portable, resté ouvert sur son bureau, se fait entendre. Un nom s'affiche : Jules. Son meilleur ami d'enfance l'appelle en visio. Gabriel se relève pour lui répondre.
GABRIEL
Salut Jules
JULES (d'un ton ironique)
Bonsoir Mr le Président, comment allez-vous ?
GABRIEL
En temps normal, je t'aurais suivi...
mais pas là Jules.
JULES
Excuses moi... je voulais te faire
un peu oublier la situation
GABRIEL
Bien essayé...
Jules fait une mou triste. Gabriel tente de se rattraper.
GABRIEL
Mais merci quand même
JULES
Gabriel...
Pendant un instant, les deux amis se regardent sans parler, chacun devant son écran.
JULES
Tu n'es pas responsable
de ce qu'il se passe
Gabriel regarde le poste radio toujours allumé au sol.
GABRIEL (l'air complètement démotivé)
Tout le monde n'est pas de ton avis
JULES
Combien de fois je vais devoir te répéter
de ne pas les écouter ?! Ce ne sont que des abrutis de politiciens qui profitent de
la situation pour t'attaquer et gagner des voix
GABRIEL
Je ne sais pas... J'ai l'impression de ne
pas avoir tout tenté
JULES
Gabriel... Tu as fais tout ce que tu as pu !
Et malgré tout tu n'abandonnes pas !
GABRIEL
J'ai comme l'impression qu'il y a une solution, quelque part, mais je suis incapable de la trouver
JULES
Peut-être parce que inconsciemment tu n'as pas envie de la trouver
GABRIEL
Le psychologue est de sortie à ce que je vois
JULES (avec un rictus)
En effet...
La solution que tu cherches existe,
elle est même très simple
Après ces mots, le visage de Gabriel est marqué par l'incompréhension. Il se met à réfléchir. Puis, comme un éclair lui traversant l'esprit, il a trouvé la solution. Mais elle lui fait peur, le terrifie.
GABRIEL (effrayé et d'un ton sec)
Non. C'est impossible. Il en est hors de question.
Jules soupire. On entend une voix l'appeler chez lui.
JULES
Je vais devoir te laisser.
Je suis désolé Gabriel mais tu
n'as pas le choix... Appelles-le !
Les deux amis se quittent sur ces mots : « Appelles-le ». S'il existait une chose plus effrayante pour lui que la crise actuelle, c'était bien celle là.
Il s’enfonce dans son fauteuil, le bras posé sur l'accoudoir, il plonge son visage dans sa main. Il ne sait pas quoi faire. Finalement, il prend la décision de suivre le conseil de son ami. Il saisit son téléphone, cherche un numéro dans ses contacts. Mais avant de presser le bouton d'appel, il se fige. Il verrouille son téléphone, le repose sur son bureau, se lève et s'approche de la cheminée comme s'il cherchait à mettre le plus de distance entre lui et son téléphone, comme s'il cherchait à fuir. Regardant le feu brûlant dans l'âtre, il se met à penser. Il est comme bloqué par ses émotions. Il ne voulait plus se souvenir de cette époque, de tout ce qu'il s'était passé. D'un coup brusque, il relève la tête, se détourne du feu et saisit son portable. Au lieu d'un appel, il se contente d'un message. Il écrit les mots suivants :
« Il faut qu'on se voit. C'est urgent »
Au moment d'appuyer sur la touche "Envoyer", il hésite. Mais son pragmatisme présidentiel, qui l'avait fait élire, prend le dessus et il envoie le message.
A cet instant, il se sent comme soulagé d'un poids, soulagé d'avoir enfin pris sa décision. Il repose son téléphone, s'empare d'une boîte posée sur le manteau de la cheminée, ouvre la fenêtre et s’allume une cigarette. Son esprit est si léger qu'il oublie complètement ce qu'il vient de faire, qu'il oublie même la crise, son travail et ses responsabilités.
Toutefois, ce moment de plénitude ne sera que de courte durée. La sonnerie de son téléphone se fait entendre. Il vient de recevoir un message. Une réponse. Toute la peur et l'angoisse qu'il avait oublié reviennent à lui.
Il écrase sa cigarette, s'approche lentement de son téléphone, et lit le message :
« Pont Alexandre III. Tout de suite. »
Pris de panique, Gabriel remet en ordre son bureau, ramasses ses dossiers, la lampe et la radio au sol. Il prend son manteau et sort de la pièce. La radio de son bureau est encore allumée. Plusieurs voix s’élèvent quand le président sort.
[Grésillement radio/changement de voix]
Voix d’un homme politique (OS)
Il est indéniable que le Président à échoué.
L’épreuve terrible que nous vivons n’est du qu’à son incompétence.
Gabriel descends le grand escalier de marbre du palais, traverse les salons dorés et s’approche des portes vitrées du jardin.
[Grésillement radio/changement de voix]
Voix d’une femme politique (OS)
Si l’Europe avait tenu ses promesses, nous n’aurions pas autant de morts dans notre pays. Il nous faut rétablir nos frontières et interdire l’immigration
qui a tué nos emplois et qui, maintenant, a apporté la mort dans nos foyers.
Un employé s’approche, lui donne un parapluie et lui ouvre la porte. Il pleut à verse.
ARTHUR
Tenez Monsieur
GABRIEL
Merci Arthur
Il sort et traverse les jardins. A ce moment, une faible lueur lunaire réussit à traverser l'épais manteau de nuage qui pesait sur la ville.
[Grésillement radio/changement de voix]
Voix d’une scientifique (OS)
Depuis que je travaille à l’Institut Pasteur,
je n’ai jamais vu de tels cas. Selon les dernières recherches, la situation que nous vivons pourrait être directement liée au réchauffement climatique.
Il quitte la Palais Présidentiel par le portail de l'Avenue Gabriel. Alors que Gabriel traverse les Champs-Élysées, on entend la voix d'un journaliste.
[Grésillement radio/changement de voix]
JOURNALISTE RADIO (OS)
Chers auditeurs, c’est une
nouvelle journée noire qui s’abat
sur notre pays. Ces dernières 24H,
ce sont plus de 85.000 de nos concitoyens
qui ont perdu la vie. Le bilan mondial
a atteint la barre fatidique de 100 millions
de victimes. Nous vivons une époque
sombre et tout espoir de sortir de cette crise disparaît.
En attendant, chers amis,
prenez soin de vous et de vos proches.
Et, surtout n’oubliez pas, restez à l’abri.
Gabriel passe devant le Grand Palais et s'engage sur le pont Alexandre III. Il arrive au milieu du pont. Face à la Tour Eiffel, Dame de fer lugubre dont l'ombre fend l'obscurité, un autre homme l'attend sous un parapluie. Le président s’approche de lui.
GABRIEL
Bonsoir Eren
Eren ne bouge pas.
GABRIEL
Merci d'être venu
Eren ne dit toujours rien. Il tire sur sa cigarette.
GABRIEL
J’ai besoin de toi, de ton aide…
et celle de Palantium.
Eren se retourne vers lui. Il porte un collier en argent avec un pendentif de la lettre Oméga, dont les extrémités se rejoignent pour former une flèche vers le haut. Les deux sont face à face, avec la Seine et la Tour Eiffel en fond.
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